L'âme de l'âne
01/07/02
Par Georges Rouzeau
Aussi emblématique que le mouflon, l'âne est l'animal corse par excellence. Détrôné par le 4X4, cette peluche géante ne bénéficie pas de la même aura. Intelligent, docile et doux, c'est pourtant un excellent compagnon de voyage dans le Ghjunsani (Giussani) et au-delà. Plaidoyer « pro ano ».
L'homme, jaloux de l'âne
L'homme est jaloux de l'âne. Comment expliquer sinon que le premier ait passé son temps à dénigrer le second ? « Bête comme un âne » dit-on bêtement. Pourtant, après une après-midi avec Noël et Dominique Boyer, éleveurs d'ânes à Olmi-Cappella et organisateur de randonnées avec bivouac, on ne jure plus que par cette peluche géante aux longues oreilles douces.
Un pied de mouflon : si le pied de l'âne est moins sûr que celui de la mule, il n'en reste pas moins l'animal le mieux adapté à la montagne - d'où son importance dans la Corse rurale d'antan. Une mémoire d'éléphant : il suffit d'une fois pour qu'un âne se souvienne d'un chemin. Un estomac d'hippopotame : d'une part, il défriche un champ de ronces et d'églantiers en un clin d'oeil ; d'autre part, c'est un modèle d'équilibre écologique puisqu'il tire partie de végétaux délaissés par les autres espèces. Et en plus, il a de la tendresse à revendre. Voilà l'âne !
Qui n'a pas vu Muchju (« notre bébé »), âne nourri au biberon parce qu'abandonné par sa mère, accourir du fond de son champ en brayant pour mendier caresses et quignons de pain, n'a rien vu ! C'est une scène attendrissante pour toute âme sensible.
Nos enfants les plus étrangers au monde, les plus repliés sur eux-mêmes, les autistes, déposent les armes devant cet équidé équitable. Par amitié pour ces bêtes au regard si doux, ils participent aux activités du bivouac lors des randonnées. Du jamais vu ! Un âne s'est même transformé en chien d'aveugle pour une dame mal voyante. Le martèlement des sabots, le halètement du souffle, la mastication régulière de chardons (« un bruit de biscottes ») ont ponctué pour elle ce voyage sonore qu'elle a accomplit une main sur la croupe de l'animal. Dans ces conditions, il ne faut guère s'étonner que de nombreuses familles se portent acquéreur de l'animal au retour d'une randonnée ! Tant mieux, cela fait monter la cote de l'âne corse qui dépasse désormais celle du cheval corse.
L'âne est l'avenir de l'homme
L'âne est aussi un animal profondément sociable à qui la vie en troupeau réussit. Quelques cas difficiles, âne battu ou âne froussard, se sont épanouis avec leurs camarades. Beaucoup d'ânes fébriles ont trouvé le calme et la sérénité parmi leurs congénères. Tout le contraire de l'homme, quoi !
Avant de partir sur les sentiers du Ghjunsani et de la Balagne, tout jeune âne fait son noviciat : une année d'éducation où il apprend notamment à traverser les ponts génois. L'âne corse goûte peu le pont génois. Serait ce parce qu'il n'a pas oublié l'époque sinistre où ses frères partaient par centaines vers la Sardaigne pour finir en saucisson ?
Aujourd'hui, le seul ennemi qu'on connaisse à l'âne est la mouche. Ces petites pestes s'agglutinent autour des yeux de l'animal et pompent ses larmes jusqu'à lui infliger des blessures. Ecrasez les mouches ! Et songez qu'ainsi, peut-être, vous avez sauvé une larme d'âne, l'ambroisie du Ghjunsani.